coucher de soleil sur Taman Negara, Malaisie, le 10 août 2005
Je me souviens toujours précisément des circonstances dans lesquelles j’apprends la disparition d’une personne. Même quand la mort n’est pas une surprise, les départs, ces soustractions à la gravité terrestre, m’arrachent des images et des sensations qui flottent à jamais au-dessus de la conscience. Une à une, ces nouvelles sinistres prennent l’aspect d’un satellite noir, dessinent des lunes de cendre géostationnaires qui trouent peu à peu le ciel.
Le soir du 2 mars 1991, j’étais étendu sur le lit, seul dans mon studio d’étudiant à Clermont-Ferrand. C’était samedi, il neigeotait un peu sous les réverbères de la rue Denis Papin et j’écoutais RTL, une mini-cassette dans le combiné en mode record. En ces temps-là, la radio de la ménagère de cinquante ans savait, par un audacieux hat-trick, se muer en canal rock franchement décoiffant après 22h30. La générosité des ondes me gavait de toutes les nouveautés musicales dont je remplissais, bien avant l’heure du téléchargement, les bandes magnétiques en toute impunité. Il était 0h35 et le sommeil me gagnait. La chanson que j’enregistrais, un truc resté sans nom, fut coupée par un flash info.
« Nous venons d’apprendre la disparition de Serge Gainsbourg. Le chanteur s’est éteint ce soir à son domicile rue de Verneuil. Nous reviendrons sur cette information dans notre journal à 1h00 ».
La chanson a repris derrière. Grand vide mouillé dans le coeur. Le communiqué est resté sur la bande.
Par deux autres fois j’ai versé des larmes, en cette même année 1991, dans ce même studio. Après le déclenchement de la (première) guerre en Irak et avant la disparition de mon grand-père paternel, la mort de Gainsbourg, héros de ma vingtaine fêtarde et agitée, annonçait aussi la mort de ma jeunesse. L’adieu à une figure tutélaire résonnait comme le reflux brutal d’une certaine forme de candeur. Gainsbourg m’avait appris à danser sur mes chagrins d’amour, il m’avait surtout initié à une forme de poésie moderne, toute en rythme et en rejets, dont je continue de découvrir les trésors cachés. A la relecture –incessante- de son oeuvre, je me suis aperçu que le musicien s’était abîmé des années avant 1991, dans les dunes reggae de l’album Aux armes et caetera. L’homme qui surnagea après le départ de sa muse Jane n’était plus qu’un fantôme à l’amertume mal ébarbée, imbu à l’excès d’autoparodie. Mon Gainsbourg à moi a vécu de 1957 à 1979. Une grosse vingtaine d’années. Le temps d’une jeunesse.
"J'ai comme un
Malaise en Malaisie
C'est commun
Comme si
La fièvre m'avait saisi
Tu m'as dit
"Je vous aime allez-y"
Etranger je suis
Mal à l'aise en Asie
Je t'aime et j'ai comme un
Malaise en Malaisie (...)"
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