sur le chemin de Muntanya Gran, Toroella de Montgri, Espagne, le 18 mars 2006
Les mouches aussi ont le droit de croquer les grains du soleil.
__________________________
J’ai repris ce chemin que je n’avais plus suivi depuis quinze ou vingt ans. C’est un sentier qui conduit d’abord à la masure délabrée d’un berger, puis tourne et s’enfonce entre de longs pins grêles. La forêt franchit des murs en pierre, s’éclaircit par places et se fronce ailleurs. Elle ourle des collines moutonneuses à la laine vieille et parfois noircie par les incendies. Les pas crissent à peine dans la terre aréneuse et les fougères et les orchidées et les romarins et les fragons et les mousses et les asperges sauvages jaillissent à chaque enjambée. Etoiles blanches et taches mauves dans la lumière fine, baies rouges, tapis verts épaufrés, tiges rousses épissurées, épis roses : je souris à l’affolement des papillons et des abeilles dans ce carnaval de couleurs, d’arômes et de silences rimés. Les oiseaux restent à l'écart de la fête, mésanges huppées occupées à la houppe des pins, pics épeiches à leur forge, fauvettes pitchous sous les yeuses, et plus haut dans l'éboulis, merle bleu sentinelle. Quand le sentier sort vers le soleil, il coupe une dépression qui s’évase, semée de pierrailles ocres et plantée de hauts cyprès. Puis la forêt reprend ses droits, plus dense et épineuse. Je n’ai jamais franchi la citadelle de la deuxième colline. Il y en a trois autres derrière, que je n’arpente toujours que dans mes rêves. Il faut se garder des collines indépassables. Notre éternité commence là où le monde nous échappe enfin.
Les commentaires récents