(Starigrad, Croatie, le 13 mai 06)
Un jour de riches poètes ont décidé qu’il était temps d’en finir avec l’inutile et le vain. Leur police imagina donc d’interdire la publicité et le football. On rêva de brûler les voitures, la télé, les ordinateurs et les téléphones portables. On se dit qu’il était inutile de payer les musiciens pour leur travail, parce que les musiciens sont des poètes aussi. On voulut mettre les usines sous tutelle et clouer les salariés à leur poste jusqu’à la retraite sous prétexte qu’ils n’étaient pas de la marchandise. Mort au marché, mort à la croissance, entendait-on partout dans les rues. Et puis les poètes s’aperçurent d’une chose : ils étaient tous issus d’un même pays, un tout petit pays d’un centième du monde à peine. Le monde autour d’eux, ils ne l’avaient pas vu depuis longtemps. Le monde, c’était des milliards de jeunes remplis d’espoirs et empressés de vivre. Ils voulaient un travail, de l’eau, des médicaments, un peu de confort. Et pour cela il leur fallait de la croissance quand même, et donc un marché pour créer des richesses. Certainement pas n’importe quelle croissance, pas n’importe quel marché, pour ne pas abîmer ce qui reste de la planète et protéger les plus faibles. Mais les poètes du petit pays, dans leurs revendications nostalgiques, avaient refusé la nuance. Pour eux, la croissance et le marché étaient sources de tous les maux. Ils comprirent trop tard leur erreur. Ils avaient eu des banques, des technologies et du savoir et ils n'avaient jamais pensé à partager tout ça plus tôt. Leur pays se serait enrichi moins vite, mais tellement mieux! Maintenant, trop tard, le monde entier était contre eux. Bientôt les besoins du monde étaient si importants qu’il fallut créer très vite des milliards d’emplois, trouver de l’argent, beaucoup d’argent, avec le commerce des choses, des ordinateurs, des voitures et des télés , avec le commerce des services et le commerce de l’argent aussi. On n’entendit plus tellement les poètes. D’ailleurs on ne voulait plus les écouter parce qu’on n’avait plus de temps à perdre ni pour pleurer.
(idée de texte suite à l’interview de Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce et ancien conseiller de Jacques Delors et Pierre Mauroy, le 13 juin dernier sur Arte)
Les commentaires récents