(Montvendre, Drôme, le 20 sept. 05)
L’affaire se passe dans l’Ain, sur la commune de Massieux. Nous sommes donc en France, le pays qui a adossé une Charte de l’environnement à la Constitution. Les centres Leclerc viennent de réussir à contourner la loi qui protège les réserves d’eau potable en France en s’installant à 200 mètres d’un puits qui approvisionne 35 000 habitants. En dernier rappel et après dix ans de procédure, le tribunal administratif vient de déclarer illégal le refus de céder le terrain à l’enseigne. Et cela contre l’avis des préfets et de la commission départementale du commerce. La commune, sans doute appâtée par les gains de la taxe professionnelle, a fait le forcing pour permettre à Leclerc d’ériger ici un centre commercial de 20 000 m², avec 10 hectares de parking et une station-service. Les préfets doivent se soumettre à la décision du tribunal qui les enjoint de faire modifier le plan local d’urbanisme dans les trois mois qui viennent.
Zones commerciales, routes, lotissements : sous leur pression vorace, nos plaines se meurent. Ces espaces autrefois jardinés par le paysan ou laissés à la nature invitaient aux promenades dominicales. Prairies empapillonnées, marais coassants, haies giboyeuses : regardez ce qu’il en reste autour des villes et aux sorties d’autoroutes. Ce n’est plus qu’un amoncellement désordonné de bâtiments sans grâce ni âme, toujours les mêmes partout, qui bouchent l’horizon. La menace du bitume suinte. Le béton est toujours prêt à mordre. Par un mauvais mécanisme du marché, il coûte aujourd’hui moins cher de construire de nouveaux bureaux que d’aménager d’anciens bâtiments. On ne compte plus les immeubles à l’abandon autour d’immeubles flambants neufs à remplir. Et voilà que le candidat Strauss-Kahn, dont j’appréciais pourtant la justesse de certaines analyses économiques, émet la drôle de vieille idée de refaire des villes à la campagne. Quand tous les urbanistes prônent au contraire une densification de l’espace urbain existant pour éviter le mitage et les nuisances liées aux déplacements. Et alors qu’un récent rapport du Ministère de l’environnement souligne l’accélération de l’artificialisation des plaines.
Dans la banlieue de Grenoble, à Saint-Martin-d’Hères, c’est l’un des plus grands magasins Ikéa de France qu’on est en train de construire. Officiellement sur une « friche industrielle », en fait l’espace relique d’un ancien marais planté de fiers peupliers (dont une partie appartenait à Elf, certes). D’imposantes murailles en tôle bleue et aux néons jaunes vont prendre la relève. Et tant pis pour les habitants du coin qui ne verront plus les montagnes ni n’entendront les mésanges. On viendra ici de Chambéry et de Gap pour acheter des tables basses en tek et des fauteuils à bascule en kit, saturant un peu plus les axes routiers autour de la ville. Le schéma de développement commercial récemment publié mettait pourtant en garde : la création d’un nouveau pôle dans l’agglomération risque de déséquilibrer le tissu marchand local…
Drôle de constater comment, sous prétexte de désenclavement économique, les territoires finissent par s’inventer de nouvelles citadelles. L’intimité entre la société et l’écosystème continue de se rompre. L'aveuglement de l’espèce dominante terrestre est décidément plus durable qu’un certain développement dont elle se réclame les jours de grand vent.
Les commentaires récents