cabane du berger de l'Arga, Saint-Jurs, Alpes-de-Haute-Provence, le 18 mai 2007
Aubignane. Ce nom me trottait
dans la tête depuis Regain, le film de Pagnol adapté du roman de Jean Giono. Un
souvenir ancien, maintes fois restauré par les bégaiements de la télévision. Je
n’ai pas lu le livre qu’on dit bien supérieur à son adaptation cinéma, mais
déjà sur la pellicule de 1937, l’histoire d’Arsule, du valeureux Panturle et de
Gédémus le rémouleur avait nourri mon amour des grands espaces et mes espoirs
d’une harmonie retrouvée entre la Terre et l’Homme. Aubignane, ce hameau perdu
sous la montagne de Lure, théâtre de Regain, je voulais depuis longtemps le découvrir
en vrai. Le humer sous l’âpre mistral, caresser ses pierres effondrées. J’étais
donc parti ces quatre jours en Haute Provence sur les traces de l’auteur de Que
Ma Joie Demeure, tenter de retrouver un peu de son âme accrochée aux pins
rabougris. Sur la carte, aucune trace d’Aubignane mais des indices, des
résonances : Saint-Alban, Aubignosc et des vieilles fermes semblables à
celles de Panturle, cramponnées tant bien que mal aux pentes caillouteuses.
Sans doute le fameux village devait-il se situer tout près d’ici, mais trop
petit, trop blotti il avait échappé à la vigilance des géographes. J’ai cherché
par-delà Forcalquier, dans les environs de Vachères, autour de
Simiane-la-Rotonde et de Banon, et au-dessus, j’ai dépassé Vieux-Redortiers et
randonné bien après le Contadour, jusque sur l’arête qui domine le ravin du
Brusquet. De bergeries ruinées en vieux jas (le magnifique Terres du Roux), le
vent m’a finalement ramené à la ferme-auberge du Contadour. Cet escalier en
pierre, cette lucarne, et si c’était… ? Un homme a traversé la cour, je
me suis précipité vers lui. Je lui ai confié ma requête et aux noms de Giono, Regain et
Aubignane son regard s’est empli de malice. Il avait la réponse mais
hésitait devant ma candeur têtue :
- Vous savez, Giono a beaucoup inventé et pas mal brouillé les
pistes. Il a pris des décors d’ici, d’ailleurs, il a gardé des noms, en a
imaginé d’autres...
- Comment ça ? Aubignane n’existe pas?
- Eh bien, c'est-à-dire que si, dans la tête de Giono.
- Mais le film, Fernandel, la ferme ?
- Pagnol a tout reconstitué près de Marseille. La ferme a été
construite à partir des ruines de Vieux-Redortiers là dessous mais il n’en
reste plus rien aujourd’hui. Déjà à l’époque, c’était en très mauvais état…
J’ai quitté la montagne gagné par la déception et un peu d’amertume.
Tous ces chemins rebattus pour une galéjade d’auteur de fiction, une ferme de
carton-pâte ! Toutes ces années à imaginer Aubignane, à rêver de bergers
barbus et renfrognés, seuls face aux siècles, face à l’hiver et à eux-mêmes.
Quand on vous arrache de si belles illusions, il n’est que temps de les
rebâtir. Dès le lendemain, perdu dans les vallons enchevêtrés de chênes, je
décidais donc de rattraper mes rêves. Mon Aubignane à moi se réinventait
sous l’aile bleue des geais qui s’esclaffaient. Au bout de chaque chemin la ferme de
Panturle semblait faire briller ses pierres. Les grands conteurs savent
mener leur monde, et c’est même à leurs couillons de lecteurs qu’on les
reconnaît.
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