train de nuit en Malaisie, août 2005
Cinq cents kilomètres et presque quatorze heures. A défaut de prouesse technologique, le train aura réussi l’exploit de prendre la mesure du temps nocturne. Il a sondé la nuit dans ses entrailles rocheuses, ourlé les mystères de la jungle noire.
Et chahuté les sens.
Le nez collé à la fenêtre depuis ma couchette, j’ai vu la forêt et la brume s’entredéchirer, tandis que des ruisseaux de boue gonflaient leur rousse rumeur sous la pluie tenace. De ponts en villages égarés et de viaducs en gares perdues, le fracas ferreux strié de sifflets rouillés m’a tenu éveillé jusqu’au triomphe de la lune sur un océan vert enfin dompté. Il était près de trois heures.
J’aime voyager la nuit. L’obscurité réveille l’âme secrète du pays, à moins qu’elle n’éveille l’âme tout court. La nuit héberge tout ce que l’aveuglante clarté du jour avait volé à l’imagination. Lumières, lueurs défilent comme autant de signaux à déchiffrer. J’épie la moindre trouée, la plus petite flamme, que le rythme du voyage et les obstacles réduisent presque aussitôt à la sensation du souvenir. La nuit devance les certitudes – et les désastres de la conscience. Son train fait de la vie un poème qui ne tient pas en place.
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