kiosque à Bruxelles, hiver 2007
On peut avoir toutes les meilleures raisons du monde de détester Genesis, vieux groupe anglais auto-revendiqué sans swing (I can’t dance), théâtral et pompeux dans les années 70, transformé en vulgaire machine à tubes la décennie suivante. Au vu de ce qu’a commis le groupe depuis disons hum ces vingt-cinq dernières années (dont dix de léthargie comateuse), se ranger du côté des adversaires farouches devenait facile, tentant, jubilatoire. Moi-même, autrefois épris de ce rock progressif (entendez compliqué et virtuose) dont Genesis s’était imposé chef de file, je n’avais plus tellement d'arguments valables pour défendre la bande à Phil Collins, batteur matois à la voix crispante et aux mélodies anaphoriques essentiellement façonnées pour gangréner la FM et approvisionner des comptes en Suisse.
Assister à un concert revival de Genesis en 2007 revenait dans ces conditions à cautionner la stratégie douteuse d’une entreprise aux investissements créatifs amortis depuis belle lurette. La nostalgie, camarade, m’a pourtant convaincu de me rendre hier soir au concert lyonnais du groupe, recréé dans sa formule telle qu’elle officiait dès 1977 (année de l’explosion punk, qui coïncide, douce ironie, avec la percée de Genesis sur le marché américain). J’ai mis de côté mes frustrations nées à l’écoute de leurs albums industriels (le syphilitique Invisible touch, le rhumatismal We can’t dance), et fouette, cocher ! me suis rangé parmi les 35 000 sportifs du stade de Gerland.
Au risque de me faire railler des
tenants d’un dogmatique bon goût, j’ai souvent pris mon pied hier soir. Malgré
une entrée quelque peu laborieuse (a-t-on idée de démarrer une messe populaire
par un instrumental jazz-rock tout en brisures de rythme ?), le groupe a
réussi à séduire ses deux publics, celui, barbu ou chauve, des épiques envolées lyriques façon
seventies et l'autre, dans sa mûre trentaine, nourri aux rengaines popisantes de l’ère radiophonique. A cheval sur les deux générations,
j’avais le choix de l'émotion, mais j'ai surtout été transporté dans les séquences où Phil Collins, lassé du front
office, disparaît derrière sa batterie pour faire parler ses peaux, et ce fut
justement le cas hier soir durant une bonne moitié du concert. Aucune honte à le dire, même devant les derniers lecteurs des Inrocks ou de Libé, là où il y a du
Genesis, il y a encore du plaisir. Il n'y avait qu'à réécouter les courses-poursuites guitare-orgue d’In
the Cage, les symphonies néo-classiques de Cinema Show et Firth
of Fifth, les arpèges bouleversants de Ripples (oui, ils ont joué Ripples !)
et même les scansions technoïdes de Domino pour s'en convaincre.
Le light-show était à la mesure de ces retrouvailles, gigantesque mais intelligent, sophistiqué et pourtant humain. En vieillissant, Genesis, 57 ans de moyenne d’âge, a retrouvé une partie de sa verve musicale de l’époque où Peter Gabriel, cofondateur et indétrônable mentor du groupe malgré sa défection depuis 1975, insufflait le sens du mystère, voire un brin de sorcellerie. N’est-ce pas à ce grand absent qu’est d’ailleurs dédiée une partie de la set-list, celle qui invite à lire entre les lignes (Behind the lines), prie le rassemblement (Follow you follow me, chanté avec une place vide devant la scène), exhume des images de l'ancien leader sur l'écran géant, se fend d’une mélopée africaine lors d’un (fantastique !) duel de percussions et se clôt avec l’épure mystique Carpet crawlers ? On sait que cette chanson a été écrite et composée par Gabriel, qui fut un moment pressenti pour rejoindre ses anciens comparses sur cette tournée. Jouée comme sur l’album The Lamb lies down on Broadway, elle a été présentée hier comme « une chanson très spéciale pour nous ». Nous l’avons ressentie de la même façon.
[Discographie sélective : Selling England By The Pound, The Lamb Lies Down On Broadway, A Trick Of The Tail, Duke.]
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