Ténébrion du Namib - Onymacris unguicularis, Namibie, août 2003
L'émotion
est un loup au pelage profond qui se fouille à pleines mains. On creuse
l'émotion, agenouillé tel un chercheur d'or, tel un mécréant converti à
l'autel d'une femme. L'émotion se chuchote d'elle-même, se suçote à sa
source, dans l'apesanteur et la ténuité. Elle n'est pas soutirée par
les autres parce qu'elle vaut mieux que ça : on ne la troque pas, on ne
l'échange pas puisque sa vérité est immatérielle par essence. Emouvoir
n'est pas conditionner : l'expérience émotive est personnelle, elle se
vit de soi par soi-même. L'émotion passe en fraude à travers les
mailles de l'esprit, même si celui-ci lui offre souvent une caisse de
résonance. L'artiste qui sait émouvoir émeut parce que les fils de son
stratagème sont invisibles (c'est le talent), ou alors parce qu'on l'a
vu embarrassé par sa propre émotion (c'est le génie).
L'animal
suscite l'émotion de l'observateur humain, soit parce que la créature
renvoie à notre propre geste (émotion de l'unicité du vivant), soit
parce que son comportement reste inexpliqué (émotion du mystère). Aidé
par ses longues pattes postérieures, le ténébrion du Namib soulève
l'extrémité de son abdomen au-dessus des grains de sable pour capter
les moindres gouttes d'humidité suspendues dans l'air. L'instant de
cette prière est très court : juste après la fraîcheur de la nuit et
alors que le soleil pointe à peine, c'est-à-dire au point optimal de
condensation (émotion de l'équilibre). La goutte
va couler lentement le long de son corps pour atteindre finalement ses
pièces buccales. Rien ne vient les matins trop ventés ou la goutte
tombe si l'animal est dérangé. Il peut alors ne pas survivre à une
journée brûlante (émotion de la fragilité de la vie).
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