Durant ces sinistres années 1980 plombées par les
synthés Bontempi et les boîtes à rythmes, peu de musiciens réussissaient à me
faire vibrer. Mes émotions musicales de lycéen boutonneux étaient principalement frappées du sceau de la
décennie précédente. Sur la scène française, un Johnny Hallyday déguisé en Mad
Max s’accrochait à sa ringardise, Bashung était encore trop difficile à suivre
et Indochine me faisait surtout rire. Trust et Téléphone mettaient un peu le
feu aux poudres dans les boums mais leur attitude manquait de panache et
d’originalité. Alors quand Marcia Baila a déboulé fin 1984, avec sa mélodie
imparable et son clip-vidéo décalé, j’ai cru au miracle. Des synthés et des
boîtes à rythmes, il y en avait dans la musique des Rita Mitsouko. Mais ces
instruments étaient savamment détournés, vrillés dans les guitares,
concassés dans une énergie post-punk, à la fois désespérée (ah, ces paroles,
souvent !) et roborative. Marcia Baila a bouclé dans une formidable
gaieté une année personnellement difficile, le morceau deviendrait l’hymne
imparable de toutes mes virées en boîte les années suivantes. J’ai aimé l’album The No
Comprendo en 1986, ébouriffant d’efficacité, et plus encore le suivant, le
très arty Marc & Robert, avec ce formidable Petit Train, un Mandolino
City à contre-pied, et le duo avec les Sparks. Je les ai vus en concert en
plein air à Grenoble, pendant la tournée de l’album Système D, été 1993
je crois. Le show était chouette mais les nouvelles chansons moins marquantes
à mes oreilles. On les a un peu perdus de vus après, parce qu’on rate un jour
le coche, parce qu’il y a eu Noir Désir et Louise Attaque, parce qu’on ne peut
pas suivre tout le monde, parce qu’il faut faire des choix - presque malgré
nous. Mais j’ai continué à aimer la dégaine de Fred Chichin et la folie de
Catherine Ringer, leur attitude toujours digne, leur état d’ébullition permanent,
leur refus de tout compromis, leur liberté assumée. Le Géo Trouvetou lunaire du
couple génial y est parti pour de bon, sur la lune, et c’est bien triste pour
le rock français. Surtout que sur la scène, un Johnny Hallyday déguisé en
bluesman est toujours au top de la ringardise, Bashung s’absente et
Indochine ne me fait même plus rire.
(Terminal Beauty est le - très beau - titre qui clôt le dernier album des Rita Mitsouko, Variety, sorti au printemps)
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