"Je sais que l'unique chant, de tous les chants anciens le seul digne, l'unique poésie est celle qui se tait et aime toujours le monde, cette solitude qui rend fou et vous dépouille." Antonio Gamoneda
Et un jour le monde devint plus froid et silencieux.
(Je ne suis pas sûr de revenir ici. Que le coeur vous garde.)
Vous avez déjà entendu le chant d’une
hirondelle ? Il n’y a pas de joie plus pure, plus vive dans les notes de
l’hirondelle. Joie d’exister au vent, douze grammes d’immense joie précipitée
comme une source fraîche au front des anges. Une offrande effrontée aux frondaisons.
Le
chant de l’hirondelle est une joie libre et je crois que l’homme n’aime pas
tellement la liberté.
La beauté est une brève évidence dont on ne se
saisit jamais à temps. Pas en tous cas à l’échelle du temps de l’homme. C’est
juillet, son vacarme balnéaire, et au-dessus des plages, les oiseaux voyageurs
sont déjà passés dans l’autre sens. Combien nous serons-nous extasiés des
voltiges des martinets, des trilles des fauvettes, ce printemps ? Les
saisons passent, emportent leurs joies, et, d’après le bruit tout gris dans la
radio, on dirait qu’on a encore oublié de les entendre.
Ma play-list de l'été était incomplète. Il faut rajouter d'urgence la réédition d'un CD que je viens tout juste de découvrir dans des frissons humides, l'unique album de Dennis Wilson, "Pacific Ocean Blue", paru en 1977.
Dennis Wilson surfait dans les Beach Boys, aux côtés de ses frères Brian et Carl, mais j'ignorais totalement son destin jusqu'alors. Relégué à la batterie pour cause d'insuffisance vocale, il s'efforça de prendre sa revanche à travers cet album solo, triste à faire pleurer l'océan. Passé une première écoute un peu languide, les chansons de Dennis Wilson révèlent un talent d'écriture absolument magnifique. Du style Beach Boys ensoleillé, l'hirsute batteur n'a gardé qu'une poignée de chansons bricolées à la hâte, pour se concentrer sur une mélancolie pianotée hautement troublante. Sa voix, si moquée par ses propres frères, se perd ici dans un halo de réverbération; déchirée par les substances toxiques, elle n'en est que plus belle.
La maison de disques a eu l'excellente idée d'adjoindre non seulement des bonus (tous impeccables) mais aussi et surtout un deuxième CD composé des chansons du deuxième album, "Bambu", qui n'a jamais vu le jour. Dennis Wilson a été retrouvé mort noyé sur une plage, rejeté par cet océan pacifique qu'il chérissait, en décembre 1983, à l'âge de 39 ans. On a rapporté de lui qu'il était amoureux des femmes et de la vie, toujours prêt à la déconne, fidèle à ses (trop?) nombreux amis, et toujours, en même temps, trimbalant une insondable vague de tristesse. C'est elle qui se livre, sans fausse pudeur, dans cet écrin testamentaire.
A sa sortie, "Pacific Ocean Blue" échoua à la 96e place des charts américains. Réédité le 18 juin dernier, il a atteint la 8e... La hype créée sur Internet et sur You Tube en particulier portent Dennis Wilson vers une sorte d'amère postérité.
Loriquet à tête bleue (Trichoglossus haematodus) - rainbow parakeet, Sydney, 27 juillet 2007
Cela fait presque un an que j'ai accosté le pays du bout du monde. Souvenir comme si c'était hier des premiers instants à Sydney dans la fraîcheur matinale, quand le métro nous largua, sans bagages, face aux gratte-ciels.
La longue déambulation vers la baie, la lumière, le pont, l'opéra, les perroquets qui prenaient le café avec nous. La contorsionniste sur le port, les grands bateaux, les sourires un peu partout sur les visages, les Aborigènes grimés qui vendaient du pipeau synthétique. Le Chinese fast food, l'opéra encore, le jardin botanique...
Toutes les images du voyage, je crois que je pourrais les citer dans l'ordre tant je m'en suis imprégné, gavé, gorgé. Les voyages me donnent des souvenirs, me laissent des couleurs, des musiques, des sensations détaxées du quotidien. Dans tout ça, je puise de la force pour l'année, des soleils pour les jours creux et encombrés. J'ai besoin d'être ailleurs de temps en temps pour me sentir mieux ici.
J'ai aussi besoin de distance pour combler ma faim de connaître. L'écran de l'ordinateur joue de la vie, fait miroir et cache finalement l'essence des choses et des êtres. L'Australie elle-même est un éden qui enfouit plutôt bien ses misères, les petites et les grandes. Elle n'était qu'un rêve de gosse turbulent qu'il me fallait atteindre, symboliquement à l'aube de ma quarantaine bourgeoise. Cette année, le voyage sera tout autre, nous ne serons pas à la noce. Le pays qui me prendra la semaine prochaine vit les tripes à l'air et ses centaines de millions d'habitants se marchent sur les pieds pour quelques roupies de sansonnet. On me dit que j'aurai un choc, que je voudrai rentrer le lendemain même, que je ne supporterai pas la misère. Sait-on pourtant qu'après tous ces petits oiseaux collés paresseusement dans mes carnets, il me faut une odeur un peu plus violente?
Crocodile marin (Crocodylus porosus), Kakadu national park, Northern Territory, août 2007
"La paresse est la mère de la perfection." (Oscar Wilde)
(Le Crocodile marin est le plus gros reptile terrestre, pouvant atteindre plus d'une tonne. Encore relativement commun dans le nord de l'Australie, il est en danger d'extinction dans toute l'Asie du Sud-Est.)
C'est magique ! La saison musicale est belle, riche et mérite plus qu'un coup d'oreille. Vous avez garni votre lecteur mp3 à ras bord avant d'aller rissoler sous le soleil introuvable? Inspirée par la tendance orageuse, le départ de PPDA et le prix effarant de l'autoroute à l'heure des fuites nucléaires, voici ma petite sélection d'albums. Parlez-moi de la vôtre !
Christophe : Aimer ce que nous sommes C'est simple, je n'ai pas été touché à ce point par un album français depuis L'Imprudence de Bashung. Baigné d'une atmosphère impalpable, à la fois empesée et diffuse, ce millefeuilles en 13 tranches déroule la bande-son effroyablement belle et grave d'un été au bord de la mort - parfois la petite, parfois la grande. On y retrouve ici et là des bribes d'accords des Mots Bleus et de Senorita, mais concassés, déchirés, entre la résignation d'après l'amour et l'énergie du désespoir. Un grand disque, plein d'emphase désuète, sincère et féconde, le meilleur album de ce drôle de bonhomme attachant qu'est Christophe.
The Raconteurs : Consolers Of The Lonely Rock'n'roll, baby ! Avec Jack White des White Stripes, ça ne pouvait que le faire. J'avais raté leur première livraison, je me console avec cet album fantastique, charnu, épileptique, héroïque, lyrique aussi ("Carolina Drama", ça me couic). Avec de vraies chansons dedans, ce qui ne gâte rien - à part les molaires.
The Tin Tings : We started nothing Nostalgiques des B 52's, rangez vos mouchoirs! Voici de la pop électro-nique, babillarde et chic, funkylastique et jamais toc (ou alors juste pour rire), embrigadée par une chanteuse aux frais hoquets. Mon cher Bertrand, je suis moins keynésien que toi, mais là, on est bien d'accord.
Beck : Modern Guilt Le blond génie scientologue confirme son retour dans les étoiles, après l'excellent The Information de 2006. Sa pop kaléidoscopique mord cette fois sur du blues cosmique, évoquant les Flaming Lips (que je vénère), badine avec un peu d'electrofunk aussi. Souvent assez proche, dans le fond, de son gainsbourien Sea Change (il y en a, du vague à l'âme, chez Beck, depuis six ans!) mais avec un sens retrouvé de la bricole qui nous ramènerait presque aux belles heures (inaccessibles désormais) d'Odelay.
Gonzales : Soft Power Lui, je l'adore et pas seulement parce qu'il est mon quasi-homonyme. Gonzales est un magnifique entertainer aux talents protéiformes, boulimique de musique à tel point qu'incapable de sortir deux albums qui se ressemblent. Celui-ci, le cinquième, combine pop de plage, disco disney, slows de la-mort-qui-tue et refrains gorgés de miel de lavande avec une classe musicienne à faire pâlir d'envie cet eunuque de Mika.
The Fleet Foxes : Fleet Foxes Chemises à carreaux not dead. Dans la famille Midlake, voici les bûcherons, une bande de barbus américains élevés au malt et au sirop d'orgeat, qui tricotent au crochet des chansons folk-pop bucoliques et chaudement embrumées. On en a la confirmation, les Beach Boys auraient pu chausser des pataugas : une splendide découverte harmonique, à défaut d'être très hormonale.
Coldplay : Viva La Vida Or Death AndAll His Friends
Un album produit par Brian Eno est forcément intéressant. Oui oui, j'aime bien le dernier Coldplay. Ca vous étonne, John?
The Nits : Doing The Dishes Bientôt sexagénaires, les Nits ont livré en avril un CD gorgé d'énergie, de caisses claires et de guitares florissantes, la fleur aux dents et l'orteil dans le ruisseau. Leur album le plus dylanien dans l'âme (plus de la moitié de l'album s'acharne, sur un mode faussement badin, sur la guerre et la violence), aux mélodies simplifiées en apparence (à siffloter en faisant la vaisselle, d'où le titre) mais toujours pleines de chausse-trapes poétiques - pour qui sait encore les entendre...
The Wolf Parade : At Mount Zoomer Le Canada sait y faire avec le rock depuis quelques années. On compare souvent Wolf Parade à Arcade Fire (même goût de l'envolée Bowienne), mais je les préfère à ces derniers : plus rustres, plus épiques aussi. Capable de pondre des morceaux de plus de dix minutes farcis de guitares et de voix et de breaks sans tomber dans l'épouvante, The Wolf Parade renoue avec un esprit seventies tamisé au grunge et griffé de branches de sapins. Le loup y est, oui.
The Dodos : Visiter
C'est fou tout ce qu'on peut créer avec une guitare acoustique et une
batterie dès qu'on est Californien! Les Dodos sont fauchés et ne paient pas
de mine mais ils ont l'art de faire brinquebaler avec une classe folle
le peu qu'ils touchent. C'est fragile, ça s'ébrèche au moindre souffle,
mais quelle lumière dans la voix, quelle énergie dans les méandreuses mélodies ! Allez, tous aux
Dodos, ça nous réveillera!
Les oisillons tombés du nid, c'est un peu de la cendre de rêve. Ca voltige dans la grâce, fragile, ça tient un instant dans nos mains et puis ça s'effondre et ça meurt. Je n'ai jamais réussi à sauver un piou-piou perdu, malgré les soins et l'attention. Ces créatures, à ce stade de la vie, sont encore d'une autre planète. Tenues par une magie qui nous attendrit et nous subjugue mais qui emporte ses mystères d'un tremblement d'aile.
quelque part en Espagne (Castille-et-Léon), août 1999
Trop peu de temps pour poétiser sur l'été, je laisse la place à l'image nue. L'acquisition récente d'un petit scanner me permet de redonner vie à d'anciennes photos. Mes toutes premières, réalisées en des temps immémoriaux, à l'époque où l'argentique était encore promis à un brillant avenir. Je venais tout juste de m'offrir un Canon EOS 500 avec l'augmentation soudaine de mon pouvoir d'achat (un concept encore sensé à la fin du siècle dernier). Il n'était surtout pas question de s'équiper en appareil numérique. On balayait le sujet assez vite, l'affaire était entendue. Le numérique était encore un gadget pour les riches qui ne s'y connaissaient rien en photo. La preuve en image? Cliquez donc ici et riez.
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