avant la lettre

refuser la misère

sur la route de Pondichéry, Tamil Nadu, juillet 2008

L'espoir du monde ? Il est dans le coeur des enfants, et nulle part ailleurs.

split

Fort Cochin, Kerala, août 2008

J’ai les bananes. Des souvenirs pendus par le pédicule, qui périssent doucement dans la buanderie. Encore jaunes du soleil de mes midis, tavelés par la morsure de ce chien de temps. Les bananes me tiennent encore la grappe. Fruits savoureux à consommer et pourtant jamais épluchés : tous ces sourires à peine frôlés, ces regards croisés dans les trains, et ces boeings manqués, laissés filer, laissés glisser, les promesses flambées avant l’honneur, les rendez-vous plantés. Des camions de peaux lisses, banalisées, avec le cœur en sous-régime.

coma dépassé

Mysore, Karnataka, août 2008

L’odeur que je préfère pour m’endormir, c’est celle de l’herbe coupée. C’est celle qui ressemble le plus au parfum de la peau d’une femme.

Mes rêves commencent et finissent dans une heure trouble de la nuit, plutôt vers l’aube, dans ses lueurs blanches. Ils penchent d’un côté, toujours le même, contre le mouvement des jours.

Mes rêves ne sont pas de ceux qui descendent après être monté ; ils restent sur les hauteurs, arrêtent les horloges et frappent aux nuages.

Je dors principalement à plat ventre, c’est la meilleure position pour rêver. Ce soir pourtant, j’ai décidé de m’endormir sur le côté. Les rêves étranglent mon sommeil quand ils ne se réalisent pas, et je suis un peu essouflé. 

le cinéma à la campagne

restaurant le "Mise en Scène", Beaurepaire, Isère, octobre 2008

Depuis vingt ans, le village de Beaurepaire fait sa fête au cinéma. Durant quatre jours, les habitants ont la possibilité d'assister à une quinzaine de films, dont plus de la moitié en avant-première. Une belle idée pour permettre à un public éloigné des grandes structures culturelles de se connecter à l'actualité du cinéma, encouragé par la venue de comédiens et réalisateurs. Cette année, ça se déroulait ce week-end. Il y avait notamment Daniel Prévost, Jean-Pierre Darroussin, Antoine Duléry, Marthe Villalonga et Frédéric Gorny, ballotés entre le café du coin et la place pour signer des autographes. Tous là pour soutenir le cinéma, ce petit cinéma de l'Oron, petit mais ô combien confortable, qui a failli disparaître plusieurs fois et qui fait toute la vie du village. 

[J'ai notamment pu voir le très attendu film d'Antoine de Caunes, "Coluche, l'histoire d'un mec", dont le scénario est en fait limité au bref épisode de l'engagement présidentiel du comique, fin 1980 - début 1981. Si j'ai apprécié la performance de François-Xavier Demaison, qui se glisse dans la peau d'un Coluche tout à fait crédible, la qualité cinématographique du film est proche de la catastrophe. Des images mal cadrées qui n'aboutissent pas, empilées à la va-vite, une mise en scène bâclée, sans imagination visuelle. Dommage.]

la crise? Quelle crise?

Vallarpadam Island, Kochi, Kerala, août 2008

Il n'est pas difficile d'imaginer que la crise actuelle ne sera pas subie de la même manière par tout le monde. La contamination de l'économie réelle par cette finance pourrie, encouragée par l'idéologie du laisser-faire, pèsera in fine plus lourd sur les plus pauvres que sur les nantis. Heureusement, il existe encore des gros investisseurs dont la générosité redonne un peu d'espoir. Je vous en avais déjà parlé ici : le consortium ILD devrait démarrer sous six mois les travaux de réalisation d'un complexe géant de casinos et de loisirs haut de gamme sur les terres déshéritées de l'Aragon. Une nouvelle enclave chromée pour ceux qui ont trop d'argent à perdre, un territoire de 2900 hectares de mirages et de carton-pâte clinquant, d'autant plus déconnecté du monde réel qu'il inclura un parc d'attractions virtuelles. Elle est pas belle la vie? 

au ralenti

Quartier juif de Fort Cochin, Kerala, août 2008


Midi. C’est l’heure qui s’étale au pinceau plat des fatigues. L’heure défaite, condamnée à couler ses rêves dans la chaleur immobile. Il n’est plus temps de course ni de gloire. La ville retient son souffle entre les ruelles que l’ombre d’un nuage égaré desserre à peine. Nous voilà rendus à un qui-vive somnolent. A la merci d’un sentiment d’éternité, troué par le vol mou des mouches autour des épluchures et des fruits pourris.

après la course

Fort Cochin, Kerala, août 2008

Il y a des jours où je me demande pourquoi il faut sans cesse courir après l’invisible. Pourquoi cette traque haletante des chiffres et des pourcentages, dans ces pays où tout se cogne contre l’illusoire.

Qu'on me laisse relire les histoires de pieuvres géantes, de baleines et d’espadon. Je voudrais apprendre à mes voisins à contempler la mer qu’ils n’ont pas. Voir passer les bateaux comme au cinéma, là, au carrefour de nos ruelles.

Et laisser le temps se dissoudre dans la douceur du juste vivre, sous la bannière des lumières d’été. Vivre au hasard et jamais pour rien, à rêver d’être amoureux jusqu’à la fin.

"Il y a une sorte de plaisir aristocratique, pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir." (Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose)

points de suspension

filets chinois sur la mer d'Arabie, port de pêche de Fort Cochin, Kerala, août 2008

Ici les feuilles humides et rousses, les mamelles pleines de l’automne. Là-bas, comme je le devine, les rideaux cendrés du ciel qui se déchirent, et un nouvel été qui suspend les hommes à ses filins de lumière. Demain, quand tout finira par s’emmêler dans la suie de mon crâne, mon cœur s’accrochera fier à ces haubans. Torturé par le vent violent des vieilles saisons, j’irai me hisser au pays du rêve des poissons volants. Je sauverai, l’âme lestée d’aventure, mes dernières larmes de tous les chagrins, de toutes les peurs qui les ont essorées. Loin des neiges qui calcinent la mémoire et s’abreuvent du sang amoureux.