Rainette de Rosenberg - Hyla rosenbergi, Marino Ballena, Costa Rica, le 11 août 2004
Cette rainette géante d'Amérique centrale aura peut-être disparu de la surface du globe d'ici 20 ans, comme un tiers des espèces d'amphibiens. La cause de ce massacre gigantesque, le plus important et le plus rapide depuis les dinosaures, n'est pas seulement l'activité humaine. C'est aussi la pensée de l'homme, ou du moins de certains, qui dévaste le monde à grande échelle. Le journaliste Pierre Kohler avait déjà publié un livre douteux il y a quelques années, L'Imposture Verte, qui s'acharnait contre toutes les grandes causes environnementales. Voilà que le scénariste de Jurassic Park (les dinosaures...) Michael Crichton s'engage à son tour dans la voie du révisionnisme écologique. Son roman Etat d'Urgence vient d'atterrir dans les librairies françaises. La thèse sous-jacente : le réchauffement de la planète est un mythe. Selon lui, les ordinateurs des scientifiques ne sont pas assez puissants pour conclure à la responsabilité humaine dans un dérèglement climatique qui resterait d'ailleurs à démontrer. Pour bâtir son projet, l'auteur est parti faire les poubelles d'obscurs laboratoires. Il a fini par y dénicher des études qui tendent à rejeter l'idée largement admise de l'affolement programmé des thermomètres. A travers une histoire sensationnaliste abondamment annotée, Michael Crichton voudrait nous convaincre du mensonge des climatologues, cautionnant in fine le refus de George Bush d'appliquer les accords de Kyoto. Il appâte le gogo européen en étalant fièrement ses chiffres de vente outre-atlantique : déjà 1,5 million d'exemplaires écoulés dans le pays le plus pollueur de la planète (bientôt rattrapé par la Chine dans cette course sinistre).
Toutes les sensibilités sont dans la nature. Il est permis de douter de tout - y compris de la manière dont les médias traitent l'environnement. L'interrogation est souvent preuve de sagesse, et parfois source de progrès. Mais jouer la carte d'une dédramatisation outrancière sur des sujets aussi graves (le péril du monde) relève d'une provocation d'autant plus funeste qu'elle va permettre à un homme de s'en mettre plein les fouilles au moment où les populations indigènes d'Afrique orientale souffrent et meurent d'une sécheresse sans précédent. Surtout, instiller le trouble et la méfiance à si grande échelle risque de démobiliser les masses alors que la Terre a besoin d'un sursaut fondamental des consciences pour être sauvée des mille maux qui la rongent. Il n'est d'ailleurs nul besoin de héler les scientifiques ou de lancer des ordinateurs à l'assaut de modélisations byzantines. Le problème se constate sur le terrain. Il suffit de prendre la peine de regarder la Nature pour déplorer que, sous nos latitudes, les champignons ne poussent plus en automne ou que les mares restent à sec au printemps. Réchauffement climatique ou pas, d'origine humaine ou cyclique, peu importe : la vie s'érode et se meurt, partout, et cryogénisé dans son jacuzzi doré, Michael Crichton ne risque pas de le voir.
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