16 juin 2006 dans Croatie, rouge | Lien permanent | Commentaires (19) | TrackBack (0)
(Starigrad, Croatie, le 13 mai 06)
Un jour de riches poètes ont décidé qu’il était temps d’en finir avec l’inutile et le vain. Leur police imagina donc d’interdire la publicité et le football. On rêva de brûler les voitures, la télé, les ordinateurs et les téléphones portables. On se dit qu’il était inutile de payer les musiciens pour leur travail, parce que les musiciens sont des poètes aussi. On voulut mettre les usines sous tutelle et clouer les salariés à leur poste jusqu’à la retraite sous prétexte qu’ils n’étaient pas de la marchandise. Mort au marché, mort à la croissance, entendait-on partout dans les rues. Et puis les poètes s’aperçurent d’une chose : ils étaient tous issus d’un même pays, un tout petit pays d’un centième du monde à peine. Le monde autour d’eux, ils ne l’avaient pas vu depuis longtemps. Le monde, c’était des milliards de jeunes remplis d’espoirs et empressés de vivre. Ils voulaient un travail, de l’eau, des médicaments, un peu de confort. Et pour cela il leur fallait de la croissance quand même, et donc un marché pour créer des richesses. Certainement pas n’importe quelle croissance, pas n’importe quel marché, pour ne pas abîmer ce qui reste de la planète et protéger les plus faibles. Mais les poètes du petit pays, dans leurs revendications nostalgiques, avaient refusé la nuance. Pour eux, la croissance et le marché étaient sources de tous les maux. Ils comprirent trop tard leur erreur. Ils avaient eu des banques, des technologies et du savoir et ils n'avaient jamais pensé à partager tout ça plus tôt. Leur pays se serait enrichi moins vite, mais tellement mieux! Maintenant, trop tard, le monde entier était contre eux. Bientôt les besoins du monde étaient si importants qu’il fallut créer très vite des milliards d’emplois, trouver de l’argent, beaucoup d’argent, avec le commerce des choses, des ordinateurs, des voitures et des télés , avec le commerce des services et le commerce de l’argent aussi. On n’entendit plus tellement les poètes. D’ailleurs on ne voulait plus les écouter parce qu’on n’avait plus de temps à perdre ni pour pleurer.
(idée de texte suite à l’interview de Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce et ancien conseiller de Jacques Delors et Pierre Mauroy, le 13 juin dernier sur Arte)
15 juin 2006 dans blanc, Croatie | Lien permanent | Commentaires (5) | TrackBack (0)
Ile de Pag, Croatie, le 11 mai 2006
Elle est là, juste au-dessus. Légère et sans ombre. Elle ne me poursuit pas, elle voyage à mon rythme, au fil du vent que j’emporte. Un peu à l’écart de ma maigre route, elle a tout l’espace pour elle et les étoiles, toutes les nuits, brodent son lit de rêves quand je n’ai qu’un drap pour oublier le jour. Je n’ai pas à la regarder, je ressens sa présence à la pluie d’avril qu’elle fait couler sur mes joues à chaque fois que l’automne tente de voler son souvenir. Je sais qu’elle est heureuse au chant des oiseaux près du ciel : c’est leur façon à eux de répondre à son sourire éternel.
06 juin 2006 dans bleu, Croatie | Lien permanent | Commentaires (13) | TrackBack (0)
Plitvice, Croatie, le 10 mai 2006 - cliché traité par Neat Image
« En perdant ses dernières eaux limpides, celles dont on pouvait s’abreuver à même leur courant, la terre aura perdu comme son regard, son intelligence. » (Pierre Gascar, Les Sources)
Je suis resté de longues minutes à regarder cette eau couler. Elle semblait venir de nulle part et de partout. Ce chahut du fond de la terre, ce chœur de lumière dans l’obscurité de la forêt, cette présence vivante, vivace là où tend à régner l’engourdissement végétal… Cette prise de possession qui surgit, qui naît comme du néant, ressemble à ce que l’art n'aurait jamais dû cesser d'être : la restitution du mystère. Comment les hommes n’auraient-ils pas le sentiment que les sources de la musique, par exemple, ne leur appartiennent pas ? Et quelle peur de l’irrationnelle inspiration (appelons cela le génie) les conduirait à endiguer les jaillissements de l’âme par des chiffres - quotas, scores de vente ou subventions ?
05 juin 2006 dans bleu, Croatie | Lien permanent | Commentaires (11) | TrackBack (0)
Lézard vert oriental - Lacerta viridis f. meridionalis, Plitvice, Croatie, le 9 mai 2006
Tu n’aimerais pas les lézards du jardin, les gros verts te feraient peur. On mangerait des tuiles aux amandes et des éclairs à l’heure du thé, on marcherait l’hiver sur les plages de Dieppe avec des cabans bleu marine. Je t’aurais fait trois enfants en quatre ans et demi, deux garçons pour l’avenir de la France et une fille pour ton père. Je me serais assis au piano le samedi soir, le concerto n°2 de Rachmaninov, les ballades bringuebalantes de Graeme Allright et des imitations de Vincent Delerm pour rire. On aurait pu rouler dans une Scenic gris métal aussi, filmer notre vie comme dans une pub des années 80, avec les mêmes grimaces, les mêmes mimiques pour singer le bonheur. Je ferais des sudokus pour me détendre après dîner, toi tu lirais Franck Pavloff dans le rocking-chair acajou sous les tentures du bureau. Tu dirais tout ça sans trop le dire dans un weblog, ces petits sites Internet à la mode qui font bavarder des gens qu’on ne voit pas. Mais ce que tu aimerais le plus, c’est te lever bruyamment le dimanche matin. Chaque fois tu ouvrirais grand les volets au saut du lit, tu laisserais le jour cramer mes rêves encore blottis avant de disparaître à moitié nue dans la salle de bains. Tu ferais couler l’eau très fort juste après pour couvrir tes sanglots. Les lézards n'aiment pas la pluie.
02 juin 2006 dans bleu, Croatie | Lien permanent | Commentaires (22) | TrackBack (0)
Tarier des prés - Saxicola rubetra, Udbina, Croatie, le 10 mai 2006
Ecrire est l'école de la patience. C'est donner du temps à la langue, donner au mot juste l'envie de se percher sur les rameaux de la conscience.
Le mot juste? Celui que l'on n'attendait pas forcément et qui s'impose là, par surprise, pour éclairer le texte d'un sens plus fort.
Courez dans les pages vertes des champs. Remplacez le mot juste par l'oiseau et vous verrez chanter un nouveau monde...
(la vaste plaine d'Udbina, où fut prise aussi cette photo, a servi de base aérienne à l'armée croate durant la guerre 1991-1996. Seuls les oiseaux décollent et atterrissent aujourd'hui.)
22 mai 2006 dans Croatie, vert | Lien permanent | Commentaires (9) | TrackBack (0)
Trogir, Croatie, le 11 mai 2006
… Et j’ai vu combien la France était seule elle aussi sur l’échiquier européen, à l’occasion du grand, du merveilleux Concours eurovision de la chanson hier soir. La position une fois de plus embarrassante de notre pays dans le classement final a certainement de quoi remettre en cause l’autorité de Jacques Chirac vis-à-vis de ses homologues à Bruxelles, au moment même où de difficiles négociations s’engagent sur l’avenir de la politique agricole commune. J’ai perçu, mais cela ne vous a sans doute pas échappé non plus, des ententes tacites entre producteurs céréaliers de l’ancienne Yougoslavie d’un côté, entre pays sylvicoles du nord-est de l’Europe de l’autre lors de l’attribution des points. Puisque le cousinage économico-géographique semble profiter au rayonnement de la culture, je propose, d’ici la prochaine édition, de procéder rapidement à l’indépendance de la Corse, de la Bretagne, de l’Aquitaine et de l’Alsace-Lorraine pour créer des pays amis susceptibles de nous avantager. La France a la capacité de rebondir en mai 2007, et de manière plus élégante qu’en ressortant la robe en tergal bleue de l’égérie du giscardisme, j’ai nommé Marie Myriam.
(évidemment, le résultat décevant d’hier soir ne peut s’expliquer par l’interprétation sensible et nuancée de Virginie, la jolie shampouineuse de Montélimar, et encore moins par la euh… chanson signée Corneille).
21 mai 2006 dans Croatie, rouge | Lien permanent | Commentaires (14) | TrackBack (0)
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